« On parle ici d’une rupture de soins potentielle » : « Carmat » alerte l’État sur l’urgence vitale

Publié le 24 juin 2025

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« On parle ici d’une rupture de soins potentielle » : « Carmat » alerte l’État sur l’urgence vitale

Wilfried Richy

Chronique

Jeudi 24 juin 2025. Trois visages fatigués s’expriment en visioconférence, visiblement émus. Ce matin-là, Stéphane Piat (directeur général de Carmat), le Pr André Vincentelli (chirurgien cardiaque) et la Dre Anne-Céline Martin (spécialiste en implantations Aeson) prennent la parole ensemble pour alerter. Ce n’est pas une annonce financière classique ni une opération de communication. Ce matin-là, « Carmat » prend la parole pour alerter : faute de financements immédiats, elle pourrait cesser ses activités d’ici quelques jours. Et avec elle, c’est le cœur artificiel Aeson qui risque de disparaître. Une avancée médicale française inédite, qui sauve déjà des vies.


Carmat entreprise : un fleuron de la santé française menacé

Depuis sa création en 2008, « Carmat » porte une ambition hors norme : concevoir un cœur artificiel autonome, intelligent, implantable chez des patients atteints d’insuffisance cardiaque terminale. Le projet est né de l’imagination du Professeur Alain Carpentier, chirurgien de renommée mondiale, soutenu à ses débuts par le groupe Airbus. Ensemble, ils ont donné naissance à Aeson, une prothèse de cœur biomimétique, alliant tissus biologiques, électronique embarquée et régulation automatique du débit sanguin.

Après plus de dix ans de recherche, de validations cliniques et d’essais multicentriques, « Carmat » obtient le marquage CE en 2020. En 2021, les premières implantations commerciales ont lieu en Europe. L’espoir devient réalité : plusieurs dizaines de patients vivent aujourd’hui grâce à cette technologie. Mais en 2025, malgré les avancées, l’équilibre économique n’est toujours pas atteint.

Conférence de presse : un appel à l’aide sans précédent

Face à une situation de trésorerie critique, « Carmat » a organisé une conférence de presse urgente ce 24 juin. En première ligne : Stéphane Piat, directeur général, accompagné du Professeur André Vincentelli (chirurgien cardiaque) et de la docteure Anne-Céline Martin. Tous trois expriment le même message : sans un financement immédiat de 3,5 millions d’euros, l’entreprise ne pourra pas payer ses charges de juillet. Et pourrait être contrainte à la cessation de paiements dès la fin du mois.

Ce montant, modeste à l’échelle des dépenses publiques de santé, est vital pour continuer à produire, maintenir les stocks, suivre les patients déjà implantés. Piat l’affirme sans détour : « Ce n’est pas une levée de fonds de confort. C’est une levée de survie. »

Une campagne de dons pour sauver « Carmat »

C’est une première dans l’histoire industrielle française : une entreprise cotée en bourse lance une campagne de dons ouverte au public. Hébergée sur la plateforme participative onparticipe.fr, cette initiative vise à mobiliser les citoyens autour de Carmat entreprise et de son cœur artificiel. Aucun rendement financier promis, aucun retour sur investissement : juste la possibilité d’aider une technologie à ne pas mourir au seuil de sa viabilité.

L’objectif est clair : réunir 3,5 millions d’euros en quelques jours, puis sécuriser un financement complémentaire de 20 millions d’euros d’ici la fin de l’année. Un défi difficile, mais pas impossible, selon l’équipe dirigeante. « Il y a un capital de sympathie énorme autour de Carmat. Mais il faut qu’il se transforme en actes, vite. »

Témoignages : soignants et patients en première ligne

Lors de la conférence, le Professeur Vincentelli, très ému, a rappelé : « On parle ici d’une rupture de soins. Ce dispositif est pour certains patients l’unique solution. Ce n’est pas un gadget, c’est une alternative vitale. »

La docteure Martin, elle, évoque les visages des patients qu’elle suit : « Ces gens vivent grâce à ce cœur. Comment leur dire qu’on n’assurera plus leur suivi, ni les remplacements nécessaires ? Il y a un enjeu éthique ici. »

Ces voix médicales rappellent une vérité trop souvent oubliée : l’innovation en santé, ce n’est pas une promesse technologique abstraite, c’est des vies humaines réelles, ici et maintenant.

Carmat entreprise : historique, défis et perspectives

Depuis sa création, « Carmat » a levé plus de 300 millions d’euros, mené plusieurs essais cliniques (notamment PIVOTAL et EFICAS), obtenu des autorisations en Europe et amorcé une implantation aux États-Unis. La prothèse Aeson, vendue autour de 150 000 euros, s’adresse à un marché estimé à plusieurs centaines de milliers de cas par an dans le monde.

En 2025, des implantations commerciales sont en cours en Allemagne, en Italie, et une première implantation FDA a été réalisée aux États-Unis. Le potentiel est là, les résultats cliniques sont solides, la demande existe. Ce qui manque ? Une trésorerie suffisante pour passer le cap critique du déploiement industriel.

Pourquoi l’État ne réagit pas ?

Une question revient en filigrane de toutes les interventions : où est l’État ? Comment se fait-il qu’un projet aussi stratégique, à la croisée de la santé, de la souveraineté industrielle et de l’innovation, soit laissé seul face à une impasse de financement de court terme ?

Le silence des pouvoirs publics, à ce jour, laisse perplexe. Le projet Carmat coche pourtant toutes les cases des priorités affichées par les gouvernements successifs : high-tech, santé, deeptech, made in France, réindustrialisation. Et pourtant…

Un signal fort aux innovateurs en santé

Au-delà de « Carmat » elle-même, c’est un signal d’alarme pour tout l’écosystème de la santé innovante en France. Si même une société aussi avancée, aussi emblématique, aussi reconnue dans le monde médical ne trouve pas le soutien nécessaire à ce stade, que doivent penser les start-up biomédicales, les chercheurs, les ingénieurs ?

Dans un contexte où la France prétend devenir un leader européen de la santé du futur, l’abandon de « Carmat » serait un aveu d’échec retentissant.

Un espoir encore possible

Tout n’est pas perdu. La campagne de dons a démarré, plusieurs investisseurs institutionnels seraient en discussion pour une recapitalisation. Des personnalités du monde médical, des anciens patients et des familles se mobilisent sur les réseaux sociaux pour relayer l’appel au soutien.

Mais le temps presse. Chaque jour compte. Chaque don peut faire la différence.

Carmat entreprise doit-elle vraiment mourir maintenant ?

L’histoire de Carmat est une histoire de résilience, de foi en la science, d’obstination collective. Ce que ses fondateurs, ses équipes, ses chirurgiens ont accompli depuis quinze ans force le respect. Ce serait un immense gâchis, humain, scientifique et industriel, de voir ce projet s’éteindre au moment où il s’apprête enfin à réussir.

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