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Un regard neuf sur la philosophie au féminin
Dans l’émission Yvelivres, diffusée sur tv78 en partenariat avec la librairie Le Pavé du Canal à Montigny-le-Bretonneux, Élodie Pinel était l’invitée du mois. Autrice, philosophe et chercheuse, elle est venue présenter son ouvrage Moi aussi je pense, donc je suis, paru aux éditions Stock en février 2024. Son livre pose une question essentielle : où sont les femmes dans la philosophie ? Une interrogation qui met en lumière des siècles d’invisibilisation, non pas en raison d’un manque de figures féminines, mais par leur absence dans les programmes scolaires et universitaires.
Des programmes de philosophie encore largement masculins
Le constat est sans appel. Sur 84 philosophes étudiés dans les manuels scolaires, seulement six sont des femmes.Jusqu’en 2019, une seule philosophe, Hannah Arendt, était mentionnée dans les programmes officiels du bac. C’est seulement avec la réforme Blanquer que d’autres noms ont fait leur apparition, parmi lesquels Simone de Beauvoir, Simone Weil ou encore Élisabeth Anscombe.
Une avancée qui a pourtant été longuement débattue avant d’être adoptée. « Les inspecteurs, professeurs de prépa et autres experts consultés n’ont pas spontanément proposé d’intégrer plus de femmes, explique Élodie Pinel. C’est finalement la présidente du Conseil supérieur des programmes, à l’époque une femme, qui a décidé d’ajouter cinq noms féminins dans la liste des philosophes étudiés. »
Une absence qui ne date pas d’hier
Si les philosophes femmes sont si peu connues, c’est avant tout parce que leur exclusion est systémique. Léontine Zanta, première femme à avoir soutenu une thèse en philosophie en France en 1914, n’a jamais pu enseigner dans le public. À l’époque, les jeunes filles n’avaient même pas accès à la philosophie au baccalauréat : elles recevaient un enseignement moral ou culturel, mais pas de réflexion critique.
Pourtant, les femmes n’ont jamais été absentes de la pensée philosophique. Déjà dans l’Antiquité, des figures comme Diotime de Mégare, Hypatie d’Alexandrie ou Damo participaient au débat intellectuel. Mais leur place a été progressivement effacée, jusqu’à ce que leur existence même soit remise en question. « Diotime, par exemple, est souvent présentée comme un personnage fictif inventé par Platon, alors qu’il n’y a aucune raison valable de douter de son existence historique, » rappelle l’autrice.
Même les termes employés contribuent à cette invisibilisation.
« Quand on parle de penseuses, on les qualifie souvent d’“essayistes”, de “femmes de lettres”, de “penseuses”, mais rarement de “philosophes” tout court. Même sur les encyclopédies en ligne, on constate que dans les versions anglaises, le mot “philosopher” est utilisé, alors qu’en français, on préfère des périphrases qui minorent leur rôle. »
Un combat qui dépasse la philosophie
L’ouvrage d’Élodie Pinel ne se limite pas à la philosophie : il propose une réflexion plus large sur les mécanismes d’invisibilisation des femmes dans la culture et l’histoire. À travers l’exemple de la pensée philosophique, il met en lumière un schéma récurrent : qu’il s’agisse des peintres, des compositrices ou des scientifiques, les femmes ont toujours dû lutter pour être reconnues et faire entendre leur voix.
Mais les choses évoluent, et Moi aussi je pense, donc je suis contribue à réhabiliter ces figures oubliées. L’autrice y recense 135 femmes philosophes, dont les concepts et les idées ont marqué l’histoire, à l’image de Hannah Arendt et sa “banalité du mal”, ou Donna Haraway et son concept de “savoir situé”.
Un appel à la mobilisation
En fin d’émission, Élodie Pinel a également tenu à évoquer un sujet qui lui tient à cœur : la situation de Cécile Kohler, son amie et collègue, otage en Iran depuis mai 2022. Professeure agrégée de lettres dans les Yvelines, elle est détenue dans la prison d’Evin, dans la section réservée aux prisonniers politiques. L’autrice a appelé à signer une pétition relayée par France Info pour exiger sa libération immédiate.
Avec Moi aussi je pense, donc je suis, Élodie Pinel ouvre une réflexion essentielle sur l’histoire et la mémoire des femmes dans la philosophie. Une pensée qui, encore aujourd’hui, mérite d’être mise en lumière.