Démissions de maires : enquête sur une crise inédite dans les Yvelines

Publié le 08 décembre 2025

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Démissions de maires : enquête sur une crise inédite dans les Yvelines

Montage : Pierrick Odent-Allet / Reportage vidéo : Mickael Elmidoro et Patrick Jacques de Dixmude / Article : Wilfried Richy

Reportage

« J’ai aimé chaque jour de ce mandat, mais il m’est impossible aujourd’hui de continuer » : début 2025, ces mots de Marie-Hélène Aubert, maire de Jouy-en-Josas, ont résonné comme un signal d’alarme. La commune de 8 000 habitants se retrouvait brutalement privée de son édile, victime d’un burnout. Un départ qui illustre, à l’échelle locale, une crise nationale sans précédent touchant les maires de France et particulièrement les élus des Yvelines.

Pourquoi les maires démissionnent : un phénomène historique

Les chiffres sont sans appel. Entre juillet 2020 et mars 2025, 2 189 maires ont démissionné de leurs fonctions, soit environ 6% des maires, selon une étude du Cevipof pour l’Association des maires de France (AMF) publiée en juin 2025. Concrètement, il ne se passe plus une journée en France sans qu’un édile démissionne.

Plus inquiétant encore : le nombre annuel de démissions de maires a été multiplié par quatre entre 2008-2014 et le mandat actuel. Entre 2008 et 2013, on recensait 129 démissions en moyenne par an, contre 417 démissions en moyenne entre 2020 et 2025.

Le pic a été atteint en 2023 avec 613 démissions, un niveau jamais observé sous la Ve République.

Dans les Yvelines, des signaux clairs d’épuisement des élus

Le département n’échappe pas à cette vague de démissions. Plusieurs cas récents témoignent de la détresse des élus yvelinois à l’approche des élections municipales de mars 2026.

Jouy-en-Josas : le burnout qui brise un mandat

En mars 2025, après cinq ans à la tête de la commune, Marie-Hélène Aubert démissionne pour raisons de santé. Dans une vidéo publiée sur Facebook, elle explique : « Le stress de la fonction de maire et toutes les énormes responsabilités qui y sont liées, les journées interminables pour suivre ou faire avancer les dossiers en cours, tout cela a eu raison de ma santé physique et mentale. »

L’ex-maire dénonce également « une violence politique insidieuse, un harcèlement moral et administratif initié par un parti de l’opposition et malheureusement aussi par quelques citoyens, qui se développent sur les réseaux sociaux ».

Sa démission a été citée dans l’étude nationale du Cevipof comme exemple emblématique de l’épuisement des maires face à la pression de leur fonction.

Le Mesnil-le-Roi : 41 ans de service municipal, puis stop

Serge Caseris, 80 ans, a annoncé qu’il ne se représentera pas en mars 2026. Entré au conseil municipal en 1983 et maire depuis 2014, il incarne la mémoire politique locale. Pourtant, même lui jette l’éponge.

« C’est pas pour remplir des dossiers que je suis devenu maire, c’est pour avoir des contacts avec les gens. C’est la vie associative, c’est la vie culturelle », confie-t-il. Mais la réalité du terrain a changé. Avec seulement 15 agents administratifs pour une commune de 6 000 habitants dont 50% du territoire est en espaces verts, « les normes nous écrasent », explique-t-il.

Plus révélateur encore : l’évolution du rapport avec certains administrés. « Depuis le Covid, on a des gens de tous milieux sociaux prêts à me fustiger parce qu’il y a des feuilles qui tombent sur leur trottoir… alors que ce sont leurs arbres », raconte-t-il, désabusé. Une anecdote qui illustre la transformation profonde du dialogue citoyen.

Aigremont : la judiciarisation qui tue le mandat

Le cas de Samy Benoudiz à Aigremont est révélateur d’un autre fléau : la multiplication des procédures judiciaires. Après 11 ans de mandat, il a démissionné en juillet 2024, évoquant un véritable acharnement judiciaire.

Dans son message aux Aigremontois, il détaillait l’ampleur des contentieux : « Depuis 2019, près de 20 procédures ont été lancées contre la commune devant le tribunal administratif, et 4 au pénal contre la personne du Maire ».

Il ajoutait : « Le harcèlement quotidien que nous subissons depuis 2019 a entamé la motivation des conseillers élus et a entravé le fonctionnement des services municipaux. Être élu à Aigremont ne peut pas être un job infernal. »

Un phénomène qui fragilise la démocratie locale avant 2026

Ces départs ne sont pas sans conséquence. Selon une étude du Cevipof auprès de 5 200 maires, seuls 42% d’entre eux envisageaient de se représenter en avril 2025, tandis que 30% demeuraient indécis.

À six mois des élections municipales de mars 2026, de nombreux maires yvelinois tardent à annoncer leurs intentions. Laurence Bernard (Le Pecq), Marc Honoré (Achères) ou encore Bruno Coradetti (Chatou) ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne se représenteraient pas.

Les maires, « point de convergence des frustrations »

« Le maire est la figure de l’autorité de proximité. À l’instar de l’instituteur, à l’instar du policier, le maire est la troisième personne finalement qui représente l’autorité et donc il est au contact quotidien des citoyens, des administrés et donc c’est lui ou elle qui est le point de convergence de toutes les frustrations, de toutes les inquiétudes », analyse Raphaël Matta-Duvignau, maître de conférences en droit public à l’université de Versailles-Saint-Quentin (UVSQ).

Pourquoi les maires démissionnent : des communes moyennes particulièrement touchées

Les communes de 1 000 à 3 500 habitants représentent un quart des démissions, avec un taux d’exposition de 3,7% des effectifs de maires. Ces territoires souffrent d’une « sous-dotation en compétences humaines et donc en ingénierie », selon Martial Foucault, chercheur au Cevipof.

Dans les Yvelines, cette réalité touche directement des communes comme Le Mesnil-le-Roi, Aigremont, ou encore Les Clayes-sous-Bois, confrontées à des défis similaires avec des moyens limités.

Les causes multiples d’un malaise profond chez les élus

Près de 83% des 4 900 maires interrogés en mai-juin 2024 estimaient que leur mandat est usant pour leur santé.

Les principaux motifs de démission révèlent la complexité du phénomène :

  • 30,9% : tensions politiques locales au sein du conseil municipal
  • 13% : problèmes de santé
  • 8,5% : cumul des mandats
  • 5% : fatigue et lassitude

Mais au-delà des statistiques, c’est un malaise systémique qui s’exprime :

  • L’empilement des normes et la complexité administrative
  • L’évolution du dialogue avec les citoyens, plus exigeants et parfois plus agressifs
  • La judiciarisation croissante de la vie municipale
  • Les moyens insuffisants, particulièrement dans les communes moyennes
  • La pression permanente sur les réseaux sociaux

Comme le souligne notre enquête sur la crise des vocations politiques, seuls 4% des élus municipaux ont entre 18 et 35 ans, alors que cette tranche d’âge représente 17% de la population française.

Une réponse législative en cours d’adoption

Face à cette crise, le Parlement a adopté une proposition de loi visant à créer un statut de l’élu local. Le Sénat a adopté à l’unanimité en deuxième lecture, le 22 octobre 2025, ce texte très attendu par la classe politique locale.

Les principales mesures adoptées incluent :

  • La revalorisation des indemnités de fonction des maires et adjoints des communes de moins de 20 000 habitants (jusqu’à +10% pour les communes de moins de 1 000 habitants)
  • Une bonification de retraite d’un trimestre par mandat complet, dans la limite de trois trimestres
  • La protection fonctionnelle automatique pour tous les élus victimes de violences, menaces ou outrages
  • La facilitation du recours à la visioconférence pour les réunions municipales
  • Un congé électif porté à 20 jours pour les candidats têtes de liste

Le texte doit encore être examiné en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, pour une adoption définitive espérée d’ici la fin 2025.

Un enjeu démocratique majeur pour les municipales 2026

À moins de trois mois du premier tour des élections municipales (15 mars 2026), les Yvelines pourraient connaître un renouvellement important de leurs équipes municipales. Entre démissions anticipées, renoncements et hésitations, l’engagement local traverse une crise profonde.

Les enjeux économiques des municipales 2026 dans les Yvelines, sont également considérables : aménagement du territoire, soutien aux entreprises locales, attractivité des communes.

Martial Foucault, le chercheur du Cevipof, appelle à prendre ce phénomène au sérieux dès maintenant car il ne doit pas dissuader le très fort engagement politique des Français.

La question reste posée : qui, demain, voudra porter les projets locaux, assurer la continuité des services publics et incarner cette démocratie de proximité dont nos territoires ont tant besoin ?

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