Le 13 novembre 2015, Paris et la Seine-Saint-Denis étaient touchés par l’attentat le plus meurtrier de l’histoire de France. Des attaques simultanées au Stade de France, au Bataclan et sur les terrasses de bars et de restaurants du Xe et XIe arrondissements de Paris ont fait plus de 130 victimes. 7 d’entre elles vivaient, travaillaient ou été originaires des Yvelines. Des victimes, des blessés et des rescapés. Parmi ces derniers, Olivier Laplaud, vice-président de l’association Life for Paris. Cet Yvelinois était présent au Bataclan pour le concert des Eagles of Death Metal. Il revient sur ces 10 années de reconstruction.
tv78 : Que gardez-vous de cette soirée, de cette nuit ?
Olivier Laplaud : Le 13 novembre 2015, j’étais avec mon épouse, mon oncle et ma tante pour un concert que je savais déjà extraordinaire. On était sur le balcon à droite de la scène, à admirer les gens qui s’amusaient, à vraiment kiffer à fond la musique. Tout à coup, on entend des bruits qu’on n’identifie pas tout de suite. Ma femme a un réflexe extraordinaire à me tirer au sol, elle a été plus vive que moi sur le sujet et on s’est tout de suite dirigés vers la sortie de secours pour nous rendre compte qu’en fait, elle nous dirigeait vers la salle et qu’on ne pouvait pas aller plus loin.
Ma femme a un réflexe extraordinaire à me tirer au sol, elle a été plus vive que moi
Olivier Laplaud, rescapé du Bataclan
Pendant 2h30, on s’est cachés dans une loge sans mon oncle et ma tante dont je suis resté sans nouvelle pendant toute la durée de la prise d’otage. Au bout de 2h30, on a fini par être secourus par la BRI ou le GIGN, je sais plus qui était de notre côté.
tv78 : Vous étiez dans une loge qui comme vous dites qui n’a pas été visitée
Olivier Laplaud : Exactement, on a une histoire différente des loges d’en face d’une certaine manière où des gens qui étaient sur le balcon de l’autre côté à gauche, ceux qu’on appelle aujourd’hui les « Potages », ceux de la série « Des vivants » pris en otage directement par deux des terroristes qui étaient montés. Ils ont dû aussi d’une certaine manière subir l’assaut des forces de l’ordre. Les deux derniers terroristes ont été neutralisés.
tv78 : Dix ans après, comment allez-vous ? Comment va votre épouse ? Vont votre oncle et votre tante ?
Olivier Laplaud : Ils vont plutôt bien. Le temps a fait son affaire, je pense. Pour tout le monde. Mon oncle a perdu un petit peu d’audition pendant l’assaut de la BRI. Mais tout le monde va bien. Je pense qu’on a, avec le procès aussi, réussi à tourner une page, d’une certaine façon. Les dix ans viennent raviver un petit peu certains souvenirs, mais c’est vrai qu’avec le temps, on arrive à se forger une carapace aussi, à force d’en parler aussi. Maintenant, c’est un peu de stress autour de ce qui nous attend pour les 10 ans.
tv78 : Elle est plus dure à vivre, cette date anniversaire, celle des 10 ans ?
Olivier Laplaud : C’est pas qu’elle est plus dure à vivre, c’est qu’il y a peut-être un peu plus de pression aussi, parce qu’on a choisi pendant 10 ans de les commémorer à notre façon, de façon assez intime. On a toujours les commémorations officielles devant chacun des lieux attaqués. Au niveau associatif, on a décidé de faire des choses vraiment entre nous. Là cette année, pour les dix ans, on voulait faire quelque chose de symbolique avec la mairie de Paris qui a missionné Thierry Reboul (directeur des cérémonies olympiques) et d’offrir quelque chose, ça peut paraître un peu pompeux, à la France et de permettre justement à la France entière de commémorer, de se souvenir et de rendre hommage à toutes les personnes tuées ou rescapées d’il y a dix ans.
tv78 : Est-ce le moyen de faire continuer la mémoire collective ? Vous avez peut-être le sentiment que sans vous on n’en parlerez plus ?
Olivier Laplaud : C’est même un peu le sujet principal, j’ai envie de dire, une actualité en chasse toujours une autre. Il s’agit pas de dire « voilà, regardez-nous, souvenez-vous de nous ». C’est plutôt souvenez-vous de ce qui peut arriver en France, souvenez-vous qu’il y a des sujets importants comme la déradicalisation, comme la sensibilisation des plus jeunes. Il va y avoir des choses qui sont très belles et qui vont amener beaucoup de messages. Parmi les messages, il y a aussi ceux des victimes qui se tiendront debout avec de très belles choses et on espère que ça portera ses fruits derrière.
J’ai presque aussi envie de dire le fait de soutenir son prochain. Ça peut paraître aussi des grands mots, mais on est dans une société tellement divisée aujourd’hui qu’un petit rappel justement d’aider son prochain, sans prosélytisme ou quoi que ce soit. C’est plus la philosophie d’entraide et de courage peut-être aussi qu’on aimerait laisser infuser.
tv78 : Le procès, en 2021, il vous a accompagné dans votre reconstruction ?
Olivier Laplaud : La première chose que j’ai attendue du procès, vraiment au niveau très personnel, c’était de recoller un peu les morceaux. Étant resté pendant 2h30 dans cette loge, j’avais besoin vraiment de comprendre ce qui s’était passé. Avec les infos depuis, on a su qu’ils étaient trois. Mais ne serait-ce que dans la temporalité des choses, j’avais beaucoup de mal à me situer. Un exemple rapidement, entre le moment où les terroristes ont commencé l’attaque et le moment où le fameux commissaire est entré avec son chauffeur et a neutralisé le premier terroriste, il s’est passé à peine 15 minutes. Moi, j’étais sur plutôt une heure.
tv78 : Tout se base sur des bruits pour vous…
Olivier Laplaud : Tout se base sur des bruits. Et puis pour le coup, les sons, une fois qu’on est dans la loge, on les entend beaucoup moins, aussi parce que les terroristes, en tout cas ceux qui sont sur les balcons, étaient plus éloignés. Nous, tout ce qu’on a ressenti finalement, c’était justement ce premier terroriste qui se fait abattre sur la scène, qui explose derrière le mur et là vraiment c’était très intense. Il y a plein de choses qui nous passent par la tête, les simples risques qu’on courre au-delà des kalachnikovs qu’on a pu entendre. C’est de voir le Bataclan brûler, exploser, enfin… La sérénité qu’on avait réussi à se forger un petit peu pendant ce qui n’était finalement que 10 minutes a été un peu mise à mal.
tv78 : Vous êtes vice-président de l’association Life for Paris qui se dissoudra le 13 novembre prochain. Vous avez eu besoin de vous engager ?
Olivier Laplaud : Je voyais le travail admirable que faisaient mes collègues de l’association qui ont réussi à la fois à améliorer le quotidien des victimes en discutant avec le gouvernement, en permettant la création d’un secrétariat d’État à l’époque, de discuter avec les institutions pour une meilleure prise en charge, pour un meilleur suivi, un suivi plus facile surtout parce que le travail et le parcours des victimes après un attentat est terrible. On est déjà sonnés. Quand on doit faire face à une administration qui n’est pas forcément formée ou facile à aborder, ou trouver tout simplement. C’était vraiment des progrès incroyables. Et puis, je pense que de toute façon, on trouve aussi une forme de salut, quand on en vient à aider aux autres.
Et puis, l’association avait fait un travail pour moi, déjà, grâce à tout un tas de choses, d’événements qui avaient été organisés. Et je me suis dit que c’était aussi un renvoi d’ascenseur, d’une certaine manière.
tv78 : Vous êtes très engagé. Arthur Dénouveaux est très présent. Médiatiquement, il parle, il porte la parole comme vous. Il faut porter cette mémoire ?
Olivier Laplaud : Il faut porter cette mémoire, c’était une des missions de l’association aussi, aider les victimes, améliorer leur suivi, organiser les différentes commémorations, mais la mémoire est vraiment un moment important. Il y a aussi le Musée-mémorial du terrorisme (ndlr : il prendra place dans une partie de la gare Lourcine du 13ème arrondissement). C’était très important pour nous que ce musée puisse voir le jour et porter la parole des victimes, mais pas seulement. Encore une fois, il y a tout un travail de sensibilisation derrière, comme ça peut être le cas à New York avec le mémorial autour de Ground Zero.
tv78 : Vous avez fait un « jardin du 13 novembre », pas très loin des lieux des attentats
Olivier Laplaud : Le jardin est vraiment magnifique et on ne peut qu’à la fois se féliciter et remercier la mairie de Paris de nous avoir aussi impliqués dans sa création et le cabinet qui a été choisi pour toutes les très bonnes idées qu’il avait.
tv78 : En dehors de l’association, vous êtes en contact avec des rescapés ou des familles, des proches de victimes, depuis dix ans ?
Olivier Laplaud : Tous les jours, j’ai envie de dire presque. Certains sont devenus mes meilleurs amis. On a tous en commun, en tout cas dans les gens qui étaient présents au Bataclan, un amour assez fort de la musique et des concerts. C’est des gens que je retrouve vraiment tout le temps. C’est pareil dans le comité d’administration.
On a eu aussi au fur et à mesure parmi les parents, notamment de victimes, des besoins particuliers, je pense notamment à la famille Valette dont le fils est suicidé en 2017, Guillaume. Dont le suivi n’a peut-être pas été bien réalisé aussi, je ne sais pas si ces problèmes ont été bien identifiés par les médecins. Il a été reconnu (victime des attentats) de même qu’a été retenu le statut de victime pour Fred Dewilde quand il s’est suicidé l’année dernière.
Donc tout ça amène aussi on va dire des nouvelles choses ou des nouveaux besoins dans le sujet associatif. Derrière, on a toujours quelques petites choses à avoir et à soutenir. Et le contact continue évidemment. Le groupe subsistera au-delà de la dissolution évidemment. Elle est partie de là, cette association, elle est partie d’un appel de Maureen Roussel qui a, sur les réseaux sociaux, amené toutes les victimes à se regrouper pour pouvoir parler entre elles parce que c’est toujours compliqué avec ses parents, ses amis, etc. Donc à pouvoir se soutenir les uns les autres, aider l’un à se relever quand nous on est debout et inversement.
Je sais que le groupe est tellement fort, que le collectif est tellement fort qu’il continuera bien au-delà de 2025.
Olivier Laplaud, rescapé du Bataclan
tv78 : Quelle est la suite pour vous ? Toujours autant de musique ?
Olivier Laplaud : Toujours autant de musique, toujours autant de coups avec les copains, voilà. Et puis encore une fois on porte ça en nous. Moi je le dis régulièrement, j’ai jamais eu autant d’amis qu’après 2015, de gens qui nous comprennent aussi. J’ai pas perdu mes amis d’avant, mais c’est vrai qu’il y a un lien spécial. C’est un autre groupe, on arrive à mêler un peu les deux de temps en temps, mais c’est vrai qu’il y a quelque chose de vraiment très spécial avec cette famille.