Le Pen : la chute du Menhir

Publié le 08 janvier 2025

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Le Pen : la chute du Menhir

Patrice Carmouze

Chronique

Lorsqu’elle a appris la mort de son père dans l’avion qui la ramenait de Mayotte, Marine Le Pen a dû revoir quelques moments de sa jeunesse. D’abord auprès de ce père qui n’était que le chef d’un groupuscule d’extrême droite, dont tout laissait penser qu’il resterait le refuge pathétique des nostalgiques de Vichy et de l’Algérie française ; ensuite les scandales publics et privés, l’héritage Lambert tombé du ciel ou la mise à nu par sa mère, déguisée en soubrette dans Lui, du divorce parental, des campagnes interminables sous la haute garde de services d’ordre patibulaires, des soirs amers de défaite électorale, des trahisons mégrétistes, des revers de fortune et parfois des victoires inattendues, comme ce deuxième tour de 2002, griffant comme une injure le visage de la France politique.

Il y avait en Jean-Marie Le Pen un étrange mélange de politicard madré et de Duce ringard, qui faisait que certains, comme Claude Chabrol, qui l’avait connu étudiant, n’avaient jamais pu le prendre véritablement au sérieux. Son habileté ne le conduisait toutefois pas à dire le contraire de ce qu’il pensait. Il respirait le vieil antisémitisme français, celui dont Bernanos jurait qu’Hitler avait fini par le déconsidérer, et le mépris des immigrés. Il croyait dur comme fer à l’existence et donc à l’inégalité des races et ne se forçait pas pour aligner ses jeux de mots d’un humour aussi léger que les tirs de la Panzerdivision.

Mais il savait mieux que quiconque où était son pré carré, le domaine des protestataires, dont il n’entendait sortir sous aucun prétexte, assurant qu’un « petit chez soi » valait mieux qu’« un grand chez les autres ». Il combattit avec ardeur tous ceux qui, comme son petit lieutenant Mégret, épousaient le dessein de se rapprocher de la droite convenableFrançois Mitterrand se servit assez bien de lui, comme d’une marionnette consentante, chacun trouvant son compte dans ce jeu d’épouvante qui paralysait la droite chiraquienne, leur ennemi commun. Il n’avait pas son pareil pour se rendre infréquentable, ayant très tôt compris que plus les partis républicains le repousseraient, plus il serait maître chez lui, ambition qui lui paraissait amplement suffisante.

En quoi sa présence au second tour des présidentielles de 2002 ressembla à une victoire à la PyrrhusJean-Marie Le Pen passa quinze jours à se traîner, sans savoir quoi dire puisque, pour la première fois de sa carrière, on ne lui demandait plus de protester, mais de proposer. Cette ascension inattendue ne fut que le signe d’une descente plus rapide. Atteint par la limite d’âge, il n’était plus que l’ombre de lui-même. Nicolas Sarkozy, qui en avait eu l’intuition, se paya un joli succès en l’affrontant dans des débats joués d’avance, et en allant se promener sans vergogne sur ses terres réservéesJean-Marie Le Pen n’était plus qu’un patron de l’ancien temps, assistant impuissant au démantèlement de son empire, convoité par les traders de la nouvelle époque.

Ce qui devait arriver, arriva. Un Brutus se réveilla en Marine Le Pen. Mais plutôt que de le poignarder, on exfiltra le père comme un vieillard cacochyme qui ne sait plus ce qu’il raconte. Adieu la nostalgie de Vichy, l’antisémitisme, l’Algérie française et la messe en latin … Place à un populo-nationalisme qui regarde du côté de Donald TrumpJavier MileiViktor Orban ou Giorgia Meloni

Le Menhir est tombé, mais il y avait déjà longtemps que personne ne le regardait plus.

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