Chanteloup face à La Haine

Publié le 13 décembre 2024

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Chanteloup face à La Haine

Patrice Carmouze / Wilfried Richy

Interview

En 1995, le film « La Haine » de Mathieu Kassovitz devenait le symbole d’une génération. Récompensé du César du meilleur film, primé à Cannes, ce film culte qui mettait en scène la banlieue avec sa fraternité mais aussi sa violence a été tourné pendant un mois à Chanteloup-les-Vignes. Mathieu Kassovitz, près de 30 ans plus tard, a repris La Haine pour en faire un spectacle musical en 14 tableaux qui ne constitue pas une suite mais une adaptation du film avec une approche qui tient compte aussi des évolutions qui se sont produites depuis la fin des années 90. Un spectacle fort, étonnant, qui ne cache ni les problèmes ni l’espérance de ces quartiers.

Quelle a été la relation de la ville de Chanteloup-les-Vignes avec ce film qui est entré dans l’histoire du cinéma ? Et avec cette adaptation scénique dont les images filmées ont été tournées, à nouveau dans cette ville ?

Notre entretien avec Rémi Engrand, ancien directeur de cabinet de Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes, chercheur en urbanisme et aménagement au Laboratoire Places à l’Université CY de Cergy-Pontoise

Un impact ambivalent entre cinéma et réalité locale

« Le succès du film en France mais aussi dans le monde, a collé une sorte d’étiquette à la ville. »

Le film « la Haine » est indissociable de Chanteloup les Vignes où il a été tourné. Comment définiriez-vous les relations entre ce film, la ville et ses habitants ?

R.E. : C’est une relation contrastée dans laquelle il y a à la fois du positif et du négatif. Côté positif, cette sorte de parenthèse enchantée pour tous les jeunes qui ont vécu le tournage, qui ont joué le rôle de figurants ou assuré la sécurité. C’était souvent leur premier emploi. Parmi ceux-ci, on peut citer Rachid Djaïdani. À l’époque du film, il était jeune boxeur et il avait été engagé comme agent de sécurité. Après, il a fait la carrière d’auteur, de réalisateur et d’acteur que l’on connaît. Et c’est sans doute « La Haine » qui lui a mis le pied à l’étrier.

Ça a donc été une période bénie notamment pour les 15-20 ans. Après, ça n’a duré qu’un mois…

Sur un plan plus négatif, il faut se rappeler que Kassovitz a eu beaucoup de mal à trouver un lieu pour réaliser son film. Alors, il a un peu grugé les élus et notamment Pierre Cardo, qui était à ce moment-là le maire de Chanteloup. Il a changé un peu le scénario et aussi le titre du film qu’il avait appelé « Droit de Cité » pour obtenir l’autorisation de tourner.

Cardo avait d’ailleurs exigé qu’il n’y ait pas de référence à Chanteloup, qu’on ne reconnaisse pas la ville. Kassovitz a tenu parole. Mais lorsque le film a été projeté à Cannes, il a invité beaucoup de jeunes de Chanteloup, et évidemment, le secret n’a pas été gardé bien longtemps.

Et puis le succès du film en France, mais aussi dans le monde, a collé une sorte d’étiquette à la ville. Et quand on sait combien la question de l’image est importante pour ces quartiers, ça pose forcément un problème.

L’évolution de Chanteloup-les-Vignes depuis La Haine

« Il y a une note d’espoir qui est franchement très émouvante. »

Lorsqu’il est revenu à Chanteloup pour parler de son adaptation théâtrale de la Haine, dont le sous-titre est curieusement « rien n’a changé », Mathieu Kassovitz a été au contraire très impressionné par l’évolution des quartiers dans lesquels il avait tourné …

R.E. : Oui, c’est vrai qu’il y a eu tout ce travail de rénovation et d’aménagement du quartier qui a impressionné Mathieu Kassovitz. Sous l’impulsion de Pierre Cardo puis de Catherine Arenou, la Ville a pu rénover quasi intégralement le quartier de la Noé, restructurer le paysage urbain, créer de nouveaux équipements et désenclaver ce territoire qui était complètement replié sur lui-même. On ne ressent plus aujourd’hui ce côté asphyxiant de la Cité que reflétait le film.

Il faut dire qu’à l’origine, l’urbanisme de la Noé reposait sur une vision totalement utopique du vivre-ensemble avec des immeubles aux formes singulières donnant sur de grandes aires de jeux garnies d’animaux géants et de sculptures en béton dignes d’un film de science-fiction des années 70.

A cette époque, le cœur de la cité n’est accessible que par voie piétonne. L’idée est que les enfants puissent jouer librement et en toute sécurité sous les fenêtres de leurs parents. On est pratiquement dans l’île aux enfants de Casimir. Malheureusement, cet urbanisme montrera rapidement ses limites avec le premier choc pétrolier, l’apparition du chômage de masse et l’explosion de l’héroïne dans les années 80. A partir de là, l’île aux enfants se change en cocotte-minute. Dégradations, violences, tags, fenêtres murées, appartements à l’abandon. C’est cette ambiance-là que décrit la Haine, qui reflète la réalité du milieu des années 90, juste avant les premiers programmes de renouvellement urbain. Il est évident que le même film n’aurait pas pu être tourné aujourd’hui au même endroit. Tout a changé.       

Je crois qu’au fond, il faut se servir de ce film comme d’un point de comparaison. Si on le fait, on voit tout ce qui s’est amélioré à Chanteloup depuis 30 ans. Le cadre de vie des habitants s’est embelli, tout comme leurs trajectoires personnelles. Un exemple : de plus en plus de jeunes obtiennent leur baccalauréat, notamment avec mention, et poursuivent des études supérieures. Nous avons même un étudiant de Chanteloup qui a rejoint Harvard cette année !

Ce saut qualitatif doit beaucoup à la politique de la ville et à la rénovation urbaine. Maintenant, tout n’est pas rose et de nouvelles problématiques, qui n’existaient pas ou peu lors du tournage de La Haine en 1995, ont fait leur apparition : place de la religion dans l’espace public, influence des réseaux sociaux sur les phénomènes de violence en groupe, paupérisation des habitants les plus en difficulté…

Vous avez vu l’adaptation pour la scène de La Haine… Qu’est-ce que vous en pensez ?

D’abord, j’ai accompagné le tournage pour la préparation du spectacle. L’équipe est venue avec des drones notamment pour filmer et reconstituer sur l’écran qui est sur la scène le tissu urbain.

C’était un peu le retour des caméras à Chanteloup.

Le producteur Farid Benlagha le Hazif, qui est très engagé sur le sujet des banlieues, a invité de nombreux chantelouvais et notamment des jeunes à la première du spectacle. Par contre, il est vrai qu’au début, quand nous avons parlé de comédie musicale à ces derniers, ils voyaient plutôt un truc comme le Roi Lion ou Notre Dame de Paris. Une comédie musicale, ça ne leur disait rien.

Mais ça n’a rien à voir avec ça. Il y a des danseurs hip hop, du rap …C’est un mélange de musique, de théâtre, … un spectacle vraiment étonnant. Ça n’est pas du tout La Haine 2, c’est une tout autre approche artistique

Et ça marche très bien.

Et sur le fond, aussi c’est très intéressant. Sans que ce soit un discours trop appuyé, il y a plein de scènes qui traitent des relations filles/garçons, des rapports avec la police, du poids de la religion …

Il y a aussi la surprise de la fin. On ne va pas la raconter, mais ce n’est pas la même fin que dans le film. Il y a une note d’espoir qui est franchement très émouvante.


Remi Engrand lors d'une rencontre avec Mathieu Kassovitz à Chanteloup.


Rémi Engrand a d’abord été le responsable de la communication de Chanteloup avant de devenir le dicteur de cabinet de la maire Catherine Arenou.

Il vient de cesser ses fonctions pour devenir chercheur au laboratoire Places, laboratoire de géographie et d’aménagement de l’Université de Cergy-Pontoise. Il travaille actuellement à une thèse sur la politique de la ville.


Alexander Ferrario, des Yvelines à La Haine

Alexander Ferrario, acteur franco-argentin de 31 ans, incarne Vinz dans la comédie musicale La Haine, jusqu’ici rien n’a changé. Né à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), il a grandi dans le quartier du Bel Air, où il découvre sa passion pour le théâtre.

Après des débuts comme mannequin et des études de comédie en Argentine, il revient en France pour développer sa carrière. Il se fait remarquer dans le film Tu mérites un amour de Hafsia Herzi et dans plusieurs séries TV. Son talent et son expérience l’ont conduit à décrocher ce rôle emblématique, un défi artistique qui met en avant ses compétences en jeu d’acteurrap et danse.

Depuis octobre 2024, il monte sur scène à la Seine Musicale pour réinterpréter ce personnage culte, près de 30 ans après la sortie du film. Il sera bientôt en tournée avec l’ensemble du casting.

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